Dix ans de photographie
Au moment précis où je vous écris j’ai 25 ans et j’ai recommencé ce texte au moins dix fois. Mon petit frère a 18 ans, ma sœur 22 ans, mes cousins ont bien grandi et tout ce petit monde était là il y a dix ans sur mes premières photos que je partageais sur internet.
Je reprends dans cet article mes photos depuis 2009. J’avais quinze ans et j’étais en première option Arts Plastiques. Il n’y a pas UN moment précis où j’ai réellement commencé la photographie. J’ai photographié avec des jetables quand j’étais petite jusqu’au moment de grâce où j’ai eu un premier « vrai » appareil à pellicule (pour mes huit ans), jusqu’à ce deuxième moment de grâce où j’ai eu mon premier réflex (pour mes quatorze ans). Je dois avouer que je n’y comprenais rien, ni les modes, ni les focales. Je faisais photos sur photos, tests sur tests. Parfois ça marchait, d’autres non, c’était aléatoire et flou. J’utilisais mon appareil comme une palette de peinture et j’improvisais. La technique n’a jamais été mon fort. Petit à petit j’ai appris en me trompant. La photographie restait un passe-temps et un échappatoire au quotidien. Je rêvais d’en faire mon métier mais c’était un rêve inaccessible et inatteignable. Je n’avais pas le niveau ni le budget pour m’inscrire dans des écoles.
J’ai mis du temps pour m’accepter photographe. Gros syndrome de l’imposteur face à mon manque d’éducation visuelle. Je remercie la vie, les rencontres et la chance pour pouvoir en faire mon métier aujourd’hui. J’ai encore des lacunes, je ne connais pas les grands noms, je n’ai pas une grosse culture, mes fichiers ne sont pas parfaits mais j’essaie de mettre ces petits saboteurs personnels de côté et de continuer à créer pour la joie de le faire.
Je vais reprendre avec vous année par année. Voir les étapes qui m’ont amené jusqu’ici. Les erreurs, les chances, les essais. Les illusions et les espoirs aussi. J’ai sélectionné mes photos préférées de chaque période. Il y en a certaines que je n’aime plus aujourd’hui mais elles témoignent de mon style de l’époque, j’étais fière de ces images. C’est drôle de voir comme son œil change, comme son style aussi, mais de remarquer également que mon univers d’aujourd’hui peut déjà se retrouver dès les photos de 2009.
2009
J’avais donc quinze ans. Il y a peu de photos car j’ai été très sélective. Je faisais tout et n’importe quoi, je changeais de style tous les jours mais c’était quand même plutôt noir et déprimant. Mon frère était mon modèle préféré (à son grand désarroi). Un petit détail ou un accessoire faisaient le shooting. Ce jour là, c’était cette vieille voiture garée dans ma rue. Je crois que j’avais appelé cette séance photo « vintage session ».
Les petites fleurs me paraissent mignonnes aujourd’hui car elles représentent bien « moi » à l’époque. Je photographiais tout, tout, tout, et je ne connaissais pas mon matériel, les réglages, je faisais tout au pif. Parfois c’était joli.
Enfin, la dernière photo est une photo dont j’étais très fière à l’époque car j’aimais beaucoup la composition avec mon frère et ma soeur.
2010
Ma modèle est ma voisine Manon, j’étais aussi très contente de ces photos car j’avais réussi à faire une retouche « vintage » (c’était vraiment mon truc) et je les trouvais belles. Et puis cette photo de mon petit cousin en Bretagne était aussi l’une de mes préférées, celle qui avait le plus marché sur Flickr, alors j’étais assez fière.
2011
Comme vous pouvez le constater, c’est une période où j’écrivais mon nom en gros sur les photos, j’avais peur qu’on me les vole. C’est plutôt malin car mon disque dur de l’époque s’est cassé, j’ai tout perdu. Je ne peux même pas me les voler à moi-même !
Les retouches étaient très importantes pour moi, je rêvais de « flou dans le fond ». Alors plutôt que d’acheter un nouveau objectif, je faisais tout sur photoshop, histoire de bien me casser la tête :).
En retrouvant ces images j’ai trouvé intéressant de voir que j’aimais déjà les ombres, les silhouettes et les jeux de lumières. Ma famille reste ceux que je photographie le plus, mais un petit Fabio s’est glissé devant l’objectif. Il sera un de mes premiers modèles.
Sur ces photos : ma soeur Clémentine, ma cousine Maria et ma soeur, Fabio, mon cousin Mathéo et mon cousin Rudy.
2012
L’année la plus créative. J’ai quitté le lycée et je commence la fac. Je multiplie les rencontres et les projets photos. D’ici à 2014, je suis très heureuse. Ma vie est remplie, mon cerveau fourmille d’idées. Je suis dans la découverte. Je découvre les quartiers de Nice après avoir passé mon enfance et adolescence entre la Trinité et Nice-est. C’est la liberté ! Les murs, les rues, les lumières m’inspirent.
De nouvelles personnes passent devant mon objectif, elles m’ont orienté et aidé sur mon chemin. Ici il y a Manon, Cedric, Darya, Cindy, Sarah, Rachel, Ngan, Fabio de nouveau et mes tous petits cousins que je photographie chaque année. (Liste non exhaustive, j’ai sélectionné mes préférées de cette année productive)
2013
C’est cette année où j’ai commencé à faire des campagnes de mode pour la boutique niçoise La Fabric. Je cherchais à cette période à faire des photos esthétiques, stylées, très posées. Vous pouvez voir tout de même que celles qui restent mes préférées sont les photos spontanées (que j’appelais « backstage » à l’époque). La photo finale devait rester pour moi une photo figée et parfaite. Pour l’anecdote, mon matériel de l’époque était un boitier Pentax accompagné d’un vieil objectif argentique à l’ouverte F/2 dont la mise au point était manuelle. Je prenais beaucoup de temps pour faire un portrait. Les photos spontanées étaient toujours floues ou ratés. Je privilégiais la netteté et la réussite technique plutôt que l’âme et le sentiment de l’image. J’étais souvent embarrassée car mon matériel ne permettait pas cette perfection numérique. Je ne comprenais pas que c’était justement ce qui faisait le charme et la valeur ajoutée de ces photos. Je cherchais à être parfaite et comme tout le monde.
C’est aussi cette année là que j’ai eu mon premier vernissage, à la Fabric, pour le projet Like a Sir. La dernière photo de cette série est un « backstage » qui en est tirée. C’est un portrait d’Audrey que j’aime beaucoup.
Sur ces photos : Valentin, Pierre, Silvio, Cédric et Audrey.
2014
Suite de l’année précédente, je suis encore très inspirée par la mode et en recherche de netteté (c’était mon obsession, comme quand vous avez un bouton au milieu du nez). J’étais partie alors encore plus loin, je faisais des assemblages de 9 photos pour en former une, les modèles ne devaient donc pas bouger le temps de la prise de vue. Vous pouvez voir ce que cela donne avec les photos de Lucie et Elie (et toute la série ici).
C’est aussi l’année où j’ai sorti mon premier clip pour le titre de Killian Alaari (merci Killian !), où j’ai fait ma dernière campagne pour la Fabric, celle dont je suis la plus fière, l’année où nous avons fait le clip Happy avec mes amis Jalal et Arthur, et aussi l’année où j’ai rencontré Irina Brook et que j’ai commencé à travailler au Théâtre National de Nice. Bref, une grande année ! Et nous sommes à mi-chemin de ces dix ans.
Cet été là, de retour en Bretagne, j’ai commencé à photographier avec mon téléphone : un exercice qui ne me quittera plus. Les vacances en Bretagne restent toujours un moment de l’année où mes photos sont différentes. Je photographie ma famille, l’enfance, je fais de nouvelles expérimentations au niveau des retouches, des couleurs. Une parenthèse.
Sur ces photos : Lucie, Killian, Maxime, Elie, mon frère, ma soeur et mes petits cousins.
2015
2015 est une année compliquée. Je suis entrée en master et j’étais en même temps en entreprise. Jusqu’ici habituée à faire des centaines de projets et à courir de partout, l’alternance me contraignait à avoir un planning constant et gourmand. Plus de temps pour les projets personnels. J’en faisais quand même car je ne pouvais mettre de côté ma passion. Les seules photos que j’avais le temps de faire étaient des streetlooks pour le magazine La Machine Carrée. C’était un exercice très intéressant car je rencontrais de nouvelles personnes que je photographiais dès notre première rencontre, je leur faisais également un petit portrait écrit. Ce projet me permettait de garder un peu ma créativité à côté des cours.
Grand moment cette année, je change de matériel, je passe au grand format et à l’autofocus. J’ai deux focales fixes : un grand angle et un 50mm. J’étais fan des grands angles et des jeux d’architectures, mais je dois me rendre à l’évidence, ce n’est pas mon truc. Jusqu’à aujourd’hui je n’ai pas changé de boitier et je reste fidèle au même objectif. J’ai trouvé mon compagnon. Avec ce changement technique, mon style change aussi : je photographie vite, je photographie l’instant.
La transition prend tout de même du temps. Je continue mes essais colorimétriques. J’avais fait et trouvé MON filtre que j’utilisais partout. J’étais en vraie recherche d’identité (recherche constante), je voulais une cohérence, un style, et il me semblait que cela passait par ma retouche… C’était un peu bête car ça me limitait beaucoup et ce filtre n’allait pas du tout avec mon nouveau matériel. Certaines photos sont donc ternes (mais dans cette sélection, ça passe… Quand je revois d’autres photos de cette époque avec ce filtre, je crie désespoir), c’était un peu mon état d’esprit à l’époque.
Sur ces photos : Huy, Issam, Ahmed, Mara, ma cousine Maria, mon frère et ma soeur.
2016
Suite de l’année-chaussette de 2015. J’ai validé mes deux années de master mais le rythme était trop intense, j’avais besoin de liberté et de projets. La renaissance arrive en fin d’année.
Je continue les collaborations, notamment avec Hello Wooly pour ses photos de campagne. Je vais faire un tour à Paris et en Provence pour y faire des photos. J’ai l’impression que l’année est assez triste mais, mine de rien, j’ai eu beaucoup de projets ! Comme quoi c’est souvent dans les moments de déprime qu’on va trouver de quoi se relever et créer. En avril j’expose le projet Rêve d’Ailleurs au Théâtre National de Nice. C’est une série sur un tour du monde de l’esprit, en restant à Nice. J’ai photographié les endroits qui me faisaient penser à ailleurs. Un échappatoire à travers une expression de mon ennui.
De plus en plus de photos de rue aussi, prises avec mon téléphone. Certaines de ces photos seront utilisées en cartes postales chez Kartoline deux ans plus tard. Un petit rêve qui se réalise
C’est à la fin de l’année que je fais la photo de Natalia à la Popote d’Ondine : le Baiser. Ce n’est que deux ans plus tard que je vendrai le premier tirage de cette photo. Je ne savais pas le succès qu’elle aurait et je comprendrais aussi bien plus tard tous les symboles autobiographiques et inconscients qui s’y sont glissés.
Sur ces photos : Maia, Kate, Marie, Hana, Natalia, mon frère, Lola, Livia, Jazz.
2017
A cette période là je me souviens que j’avais du mal à me définir. Je ne pouvais plus me cacher derrière le statut d’étudiante pour masquer mon manque d’estime en tant que photographe, il était l’heure d’assumer pleinement mes rêves. Une fois ces deux ans de rigueur finis, voici venu le moment de l’expansion. Le coeur rempli d’amour, je crée le projet très petites histoires d’amour. Je cache dans plusieurs cafés de Nice des pliages délicats qui portent en leur coeur une photographie (un instant volé au téléphone, le plus souvent).
Je travaille maintenant à temps plein au théâtre où je photographie les coulisses, les spectacles, les tournées. Je fais aussi des vidéos et des visuels. Je me cache derrière les pendrillons pour pouvoir avoir le recul nécessaire et photographier les instants vrais.
En juin j’expose à la médiathèque de la Trinité. C’est un cadeau car mes premiers rêves se sont fait là bas, autour des livres. C’est aussi à cette période que je rejoins la Galerie Martin Sauvage. Il m’a fallu un peu de temps pour accepter que mes photos pouvaient réellement intéresser une galeriste.
Au mois d’août, je suis partie faire mon tour de France. C’est parti d’un sentiment de gros ras-le-bol, de tout. J’ai organisé ce petit tour sur un coup de tête (j’en parle ici). C’était une joie de pouvoir découvrir des paysages si différents et rencontrer tant de personnes, mais le temps sur place étaient trop court (une journée à chaque fois) pour s’imprégner assez des lieux. J’ai apprécié photographié la vie, les gens, les rues (je peux me le permettre maintenant que j’ai mon autofocus). J’en ai profité pour glisser de très petites histoires d’amour sur le chemin.
Sur ces photos : mes cousins Leopol et Maria, Issam, Irène, Kevin, Marjory, Renato, Livia, Satya, Maia.
2018
L’année commence avec un drôle de cadeau du ciel. La photo d’un chat que j’ai photographié à côté de la maison de retraite de mon grand père se retrouve sur le compte officiel Instagram. Elle atteint en quelques jours un million de likes. Beaucoup d’articles de presse autour de ce chat croisé à St-Meen-le-Grand au milieu de la Bretagne. Inattendu, absurde et très rigolo.
Je fais de moins en moins de photos, perte d’inspiration. Je déserte mon appareil. C’est mon téléphone qui devient mon allié, je me balade, j’erre et j’observe souvent une scène qui me détache de mes rêves pour être capturée. Je lis beaucoup. Depuis mon exposition à la médiathèque, j’ai retrouvé mon amour des livres.
En mars 2018, après son exposition des femmes sacrées, nous décidons avec mon amie peintre Ja de se lancer au défi d’exposer ensemble, un an plus tard, sur l’année à venir. Le reste des mois sera aussi consacré à la prise de notes.
2019
Aujourd’hui. Très peu de recul pour être objective. Nous avons exposé notre année avec Ja, notre Boum Boum. Les textes ont prit plus d’importance que les photos pour moi. Cette exposition a été l’objet d’un bilan personnel et d’une grosse introspection. Ce sera mon projet le moins joyeux mais le plus personnel. J’ai eu des retours très touchants et émouvants. Je prépare un livre à partir de ce projet.
J’ai fini de travailler au théâtre, aussi, après cinq années. J’y ai beaucoup appris, ma création a évolué, j’ai touché à la photographie, à la vidéo, au graphisme et au dessin, j’y ai aussi rencontré des amis très chers et inspirants, et je me suis trouvée. En entrant dans le milieu artistique j’ai réussi à réaliser mon rêve. Toutes les expériences que j’ai pu avoir m’ont guidé sur ce chemin. J’ai essayé beaucoup de choses, j’ai eu beaucoup d’espoirs brisés (je n’en ai pas trop parlé ici, car je les ai presque tous oubliés ! Au final, on se rappelle davantage de ce que l’on a réussi que de ce que l’on a raté), mais tout m’a mené jusqu’ici. J’ai appris des erreurs et des échecs et j’ai trouvé mon style dans les contraintes (le manque de netteté, de temps, de moyens ont finalement été mes alliés). C’est dans ces contraintes et dans la simplicité que je me suis épanouie. J’imaginais que réussir, être un photographe professionnel, c’était avoir beaucoup de matériel. L’expérience m’a appris que, pour moi, mon boitier et mon objectif me suffisent (il faut quand même souvent prier pour que le temps et la lumière soient avec nous). Une chose est certaine, je ne suis pas experte en technique, mais je me suis détachée de cette pensée qui me sabotait. Je recherche davantage le sens et l’harmonie que la perfection.
Aujourd’hui je commence une nouvelle aventure. Sans cadre, sans conducteur. Juste moi, mes projets et mes rêves (et mes peurs aussi, elles ne vont pas partir comme ça). L’exposition Boum Boum était prémonitoire, j’y ai inscrit des mots que je vis et dont j’ai besoin aujourd’hui. J’espère que les dix prochaines années amèneront leur lot de projets et de créativité, mais j’espère surtout l’équilibre et la liberté.
Je laisse pour cette année 2019 une seule photo, elle s’appelle Viva la Vida.
J’y joint une photo de 2008, même petit Pierrot, même fenêtre, onze ans de plus et pleins d’histoires vécues !
Merci d’avoir suivi et lu ce long article. Cela n’a pas été facile de me dévoiler et surtout de me replonger dans les premières photos. On est toujours très dur avec soi même. Je trouvais l’évolution intéressante.
Emilie madame.toutlemonde
MAGNIFIQUE ! Tu es vraiment mon artiste preferée! ❤️ bravo gaelle